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45 Au seindes familles et avec les enfants, la prise de contact à notre initiative pour un entretien téléphonique régulier émanant de différents intervenants fut très appréciée, et a pu renforcer le sentiment que le SESSAD pouvait tenir lieu de «sentinelle» et accroître durablement l’alliance thérapeutique avec les usagers. Il s’agissait souvent d’un simple coup de fil permettant de prendre des nouvelles, d’échanger quelques informations sur l’état de santé de l’enfant, ses besoins, et sur la vie familiale dans des conditions si particulières. Leur régularité ainsi que la façon dont nous avons relayé ces «petits» échanges entre les membres de l’équipe ont donné le sentiment d’une préoccupation assez motivante et constante pour les familles et ont prolongé leur capacité de projection dans le «monde d’après» la crise. Au début nous n’avions pas vraiment de «recette» ni même de conseils spécifiques à donner aux familles hormis quelques banalités délivrées par les médias. Nous avons beaucoup appris à l’écoute de certains de nos patients. Pour exemple ce jeune, habituellement difficile, qui en temps ordinaire est ravi de pouvoir rater l’école tout comme ses séances au SESSAD et qui fut étonnamment l’un des plus inquiets quant à l’interruption. Il s’est montré très disponible, semblant attendre religieusement mon coup de fil à l’heure prévue et me montrant qu’il prenait le temps de s’isoler dans sa chambre pour – me disait-il – faire «comme une vraie séance», «sa» séance! Du côté des familles, certains parents ont puisé dans «les réserves historiques familiales» pour nous raconter et transmettre à leurs enfants tel ou tel épisode de leur vie passée. Ainsi, pour un certain nombre de patients et de familles, la période de confinement eut ses vertus, révélant la potentialité inédite de la situation. Contraints à l’isolement, l’enfant et le groupe familial ont puisé dans leurs réserves et leur créativité. Il y a donc eu des familles et des enfants qui ont su très vite s’organiser, tirer parti de ce temps accordé par la nécessité sanitaire, pour vivre ensemble, jouer, se constituer des espaces et des rythmes, s’entre-aider pour les devoirs scolaires, se rapprocher, réinventer une vie de famille. Quelque chose de très intéressant s’est souvent produit au sein des familles à travers la décomposition et la tentative de recomposition des espaces publiques et privés, mais surtout des espaces symboliques. L’école s’invitait à la maison, la maîtresse pouvait devenir joignable, le métier du parent devenait plus visible pour l’enfant, le respect de l’espace ou des temps de retrait, dans la chambre ou sur le balcon, acquerrait enfin son importance, certains ont planté des graines… tout un arsenal de ressources, issues des familles, que l’on n’a peut-être pas assez formalisé. Plutôt que de chercher à envoyer des «recettes» que l’on n’avaitpaspourpallieràunesituationqu’onneconnaissait pas, nous aurions pu créer un «blog», un espace de dépôt ouvert que les usagers auraient nourri à volonté, en témoignant de ce qu’ils essayaient ou de ce qu’ils pensaient de la situation, en s’assurant naturellement que toutes les familles disposent d’un accès raisonnable aux différents outils de télécommunication: internet, tablettes, téléphones portables. Cela laisse à penser que la gestion de «l’exception dans la règle» est certainement quelque chose que nous devrions formaliser et anticiper pour les futures situations de crise. De très bonnes choses ont été trouvées du côté du fonctionnement de l’équipe, on peut dire que «la pénurie a stimulé la créativité». Il y eut le travail de contact régulier, et vivement attendu, de la psychomotricienne, de l’enseignante spécialisée et de l’orthophoniste, qui ont établi un suivi adapté à la situation de distance, en prenant le temps qu’il fallait, au téléphone, en visio-conférence et parfois même par courrier, pour distribuer conseils, méthodes et fiches d’exercices, adaptés à la fois aux besoins de chaque enfant et aux rythmes particuliers et éventuellement lacunaires de «l’école à distance». Il y eut la mise en place de «fiches journalières de contact» au moyen desquelles chacun des intervenants a pu prendre connaissance des impressions et des interventions de chacun des soignants sur chaque situation. Il y eut aussi l’organisation de la secrétaire et de la cheffe de service pour mettre à jour régulièrement tous ces reports et solliciter, en fonction, telle ou telle concertation entre professionnels. Chaque enfant a pu bénéficier très vite d’au moins trois types d’interventions hebdomadaires, mieux conjuguées entre nous et davantage discutées que d’habitude. Faute de temps passé en présence de l’enfant, nous avons eu plus de temps pour nous concerter et «élaborer» entre professionnels une réponse institutionnelle «sur mesure». Pour le meilleur, le SESSAD a montré qu’il pouvait se constituer comme un espace de veille sanitaire, de référence et de projection pour nos usagers. Ce qui fit vivre cet esprit de «sentinelle» est sans aucun doute, de notre côté, la facilité et la justesse avec laquelle nous avons pris le temps de communiquer entre nous, avec une opiniâtre motivation et une grande entente que nous n’avons pas si souvent l’occasion d’exploiter en temps normal. Les «dégâts» se révèlent dans le sillage du déconfinement Hélas, à côté des bonnes surprises, il y a aussi les dommages que l’expérience du confinement a provoqués sur les esprits. Il y a aussi les dommages occasionnés par l’expérience d’un «déconfinement» trop «progressif» où nous avons peut-être trop tardé, trop déçu, trop «patiné» avant que la réouverture et la reprise de l’activité habituelle soit enfin possible.

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