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44 Pour un certain nombre de patients et pour le pire, le confinement a eu pour effet d’intensifier certaines modalités pathogènes déjà présentes. Pour chacun, il a aussi eu pour effet d’engourdir, peut-être durablement, ce que l’on pourrait appeler la «musculature» et le dynamisme psychique, en une forme particulière de réaction post-traumatique. Du côté de la vie institutionnelle et à l’instar de ce qui se passait dans le pays, la surabondance du recours aux moyens de communication à distance (téléphone, visioconférence, réseaux sociaux…) a pu conduire les consciences à sous-estimer la valeur irremplaçable d’une entrevue en présentiel, qu’il s’agisse d’un acte médical, d’un cours donné par un professeur en chair et en os, d’un accompagnement éducatif, ou encore d’une séance de psychothérapie. Une situation tout à fait inédite qui a surpris et concerné tout le monde Si les rumeurs de l’épidémie de Covid-19, partie de Chine, se faisaient entendre depuis quelques mois en France, nul n’aurait pu prévoir que la réalité du risque sanitaire allait donner lieu, au début du mois de mars, à une décision aussi inédite que soudaine: le confinement de toute une population et l’application de règles de distanciation sociale, frappant d’interdit toute idée de contact et de proximité physique. Les institutions du secteur médico-social ont dû, à leur tour, interrompre tout accueil du public, et ce sans beaucoup d’idée ni de préparation pour venir pallier, compte-tenu des mesures de restriction, aux situations les plus préoccupantes: celles qui étaient en cours comme celles qui ne devaient pas manquer de se manifester. Les déplacements et rencontres autorisés furent limités au strict minimum et accompagnés de restrictions. Avec la fermeture ô combien symbolique des écoles et des lieux d’accueil de l’enfance, les préoccupations sur les conséquences directes de telles mesures ont donné lieu à une inflation de discours et de conseils psychologiques, sanitaires et éducatifs, souvent relayés de façon anarchique par les réseaux sociaux. On redoutait la frustration des enfants, leur peur, l’abandon des «rythmes» et le retard pris dans les apprentissages scolaires. On redoutait aussi le «confinement» au sein des familles, souvent dans un petit espace d’habitation. Pourtant, il est apparu que l’étendue des problèmes ne se situait peut-être pas là où on l’avait craint dans un premier temps, et que les ressources que les acteurs du soin (médecins ou psychologues) et de l’éducation (enseignants ou éducateurs spécialisés) pouvaient mettre à disposition des enfants et de leur famille, se trouvaient plutôt dans la personnalisation du «télétravail», le rythme et les modalités de prise de contact à distance, la qualité du «report» et de l’élaboration entre nous de chacun de ces contacts. Au SESSAD, c’est le mot «contact» qui a fédéré et commencé à organiser le travail de l’équipe. Dès le début, tous les membres de l’équipe se sont instinctivement rapprochés dans un foisonnement brouillon qui traduisait, certes, la panique et l’incertitude, mais qui révélait également la conviction partagée que la compétence et le point de vue de chacun sur telle ou telle situation était complémentaire, nous renforçait et permettrait assez vite de bâtir un «télétravail» de qualité. Cela révéla, à nos patients et à nous-même, qu’un respect et une entente mutuelle préexistaient dans l’équipe et qu’une semblable préoccupation nous unissait. Un esprit «de sentinelle» et de psychothérapie institutionnelle Les vertus de ce savoir clinique partagé devaient enfin trouver leur justification et leur expression auprès des décideurs, dans un esprit d’authentique «psychothérapie institutionnelle»: prendre soin les uns des autres, «soigner» l’institution, c’était nous rendre plus efficaces pour nos usagers. Cette efficacité s’est organisée et améliorée de semaine en semaine, comme si se forgeait progressivement et spontanément une certaine méthode entre nous.

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